Dans cette première installation interactive issue de l’exposition Planète Merre, explorez et enrichissez le texte-manifeste qui donna naissance au mode de vie et à la culture merrien·ne et découvrez une sélection d’objets des collections merriennes du Musée d’Archéologie des Futurs.
Design et textes : Annabel Roux @ Futurons !
Ni fuite, ni résignation, collecter nos forces, leur donner le temps et l’espace de s’infiltrer, de percoler, de confluer en un irrésistible courant susceptible de fertiliser la Terre consumée par la voracité d’un monde zombie.
Et nos corps, ne l’oublions pas, sont composés de 60 à 90% d’eau.
Merre avec chacun·e de nous prend une forme stable, individuelle, mais l’eau, en constant mouvement, a d’autres logiques. Elle est une intermédiaire, une relation.
Courants océaniques, qui transportent la chaleur, les poissons et même les déchets plastiques, l’eau en nous permet des échanges. Elle garde des traces de son passé et s’imprègne des fluides et particules — médicaments, hormones… — qui circulent dans nos corps. Quand nous buvons, quand nous urinons, nous nous relions à son origine, elle se relie à la nôtre — que ce soit une rivière, un lac ou même l’eau traitée d’une usine.
« Il y a des marées dans le corps », écrit Virginia Woolf. Nous fluons et refluons à travers l’espace et le temps — de corps en corps, en corps, en corps.
Penser à nous-mêmes et à nos communautés comme des corps d’eau nous permet d’envisager le monde différemment. C’est un renversement, un vertige. Ce sont de nouveaux devenirs. Dans l’incertitude, le tremblement,
Conscient·es que le monde appelle à un renouveau de nos perceptions et de nos modes d’être, il nous faut cultiver notre disponibilité.
Nous obéissons à une éthique relationnelle radicale et em-
brassons pleinement la diversité des êtres et des existences. Nos
obligations et responsabilités ne découlent pas de règles abs-
traites, prétendument universelles, mais émergent des liens et
interactions que nous entretenons avec l’Autre, humain ou autre
qu’humain.
Trop longtemps nous avons érigé des frontières, dressé des
barrières entre l’humain et le non-humain, entre les cultures,
entre les espèces. Il est temps d’apprendre à tisser des liens d’interdépendance avec l’altérité.
Les merrien·nes se reconnaissent avant tout comme des êtres
divers, pluriels, aux multiples appartenances. Nos identités ne
sont ni fixes ni monolithiques, mais se réinventent sans cesse au
gré des rencontres. Nos identités sont relations. Fluides et mou-
vantes, elles se conçoivent non comme des essences figées, mais
comme des processus dynamiques, sans cesse renouvelés au fil
des interactions avec nos milieux de vie et celles et ceux qui les
habitent avec nous. Elles sont kaléidoscopes. Le soi n’y est pas
un bloc monolithique, mais une mosaïque mouvante de poten-
tialités d’être en perpétuel réagencement.
C’est une disposition d’ouverture, une perméabilité aux apports de l’inconnu, du non-familier, accepter d’être transformé·es.
par les contacts avec ce qui nous déborde et nous dépasse. C’est faire de l’altérité un creuset plutôt qu’une menace.
Cela implique d’embrasser pleinement la pluralité des êtres et
façons d’être, de se reconnaître comme un être aux multiples vi-
sages, aux identités protéiformes. De cultiver une forme d’humi-
lité relationnelle, où l’on accepte que le soi ne préexiste pas aux
liens qui le font advenir.
L’identité-relation, c’est cette danse perpétuelle avec l’Autre
qui empêche toute fixation définitive de l’être. Une invitation à
une fluidité créatrice, à l’éclosion d’existences toujours renouve-
lées au fil des métissages.
L’art d’habiter merrien se fonde sur une disposition fondamentale – celle d’embrasser pleinement notre état de vulnérabilité. Berçé·es de l’illusion de la maîtrise, de notre supériorité ontologique sur tout le reste du vivant, nous avons exploité, pillé Merre jusqu’au point peut-être de non retour. Habiter Merre exige d’accueillir notre fragilité essentielle, notre interdépendance radicale avec les forces océaniques et les organismes marins.
Dans cet accueil de notre vulnérabilité, qui n’est ni honte, ni fatalité, nous nous ouvrons aux ressources insoupçonnées dont recèlent nos milieux, espèces compagnes et nous-mêmes. Les découvrant, les activant, nous nous engageons sur un chemin d’autonomisation qui rend notre vulnérabilité réversible, nous en dégage pour faire émerger de nouvelles capacités, créatrices, émancipatrices.
Ainsi, notre manière d’habiter n’est plus celle de la conquête et de l’exploitation, mais celle du lâcher-prise et de l’adaptation.
Nous concevons notre mode d’habiter comme une « contrainte créative » choisie, où chaque limite devient une voie à explorer, un tremplin vers une inventivité renouvelée.
Nos techniques, nos savoirs, nos esthétiques même sont façonné·es par cet esprit de « bricolage » et de débrouille, tirant le meilleur parti des ressources à disposition, dans un souci de soin réciproque. Nos « technologies ensauvagées » sont ces inventions nées de l’urgence, ces réponses ad hoc qu’engendre le vulnérable, fruits de l’exploration, du tâtonnement et de l’erreur.
Car habiter en merrien·nes, c’est avant tout apprendre à négocier avec Merre comme une alliée exigeante, en respectant ses
rythmes et ses humeurs. C’est cultiver un art de l’attention aux
signaux subtils. Un « prendre soin » attentif et attentionné à nos milieux de vie, aux espèces avec qui nous cohabitons, où chaque geste participe à « l’amélioration de l’habitabilité du monde dans toutes ses dimensions ».
Habiter en merrie·nes, c’est se mettre en état de vulnérabilité
et se rendre disponible à la leçon des flots – celle d’une existence
toujours précaire mais féconde, d’une impermanence porteuse
d’infinies renaissances.
Nos villages et archipels flottants ne sont ni des forteresses isolées, ni un corps monolithique, mais bien des organismes, autonomes et interconnectés, reliés par Merre, des singularités interdépendantes. Ils sont conçus comme des « rhizomes
d’échanges et de relations » pour reprendre les mots d’Édouard Glissant, où la diversité ontologique et culturelle est célébrée et intégrée dans un vaste métissage créateur.
Des « Tout-Mondes » en perpétuel devenir, des agencements mouvants et pluriels.
Car l’océan n’est pas seulement ce qui nous entoure, mais
aussi ce lien vital, ce terreau nourricier qui permet la rencontre et l’hybridation des différences. Merre est ce « milieu de milieux » propice aux symbioses les plus inattendues.
Notre organisation sociale est à l’image des rhizomes marins, posidonies et zoostères – des réseaux fluides et décentralisés, où chaque élément singulier participe d’un vaste corps sans organes.
Nos villages s’agrègent en archipels, agencements temporaires et évolutifs. Sans centre ni hiérarchie fixe, ils se font, se défont et se recomposent au gré des rencontres, des alliances avec d’autres formes de vie marine. Chaque village-îlot est une singularité autonome, reliée à toutes les autres par des flux d’échanges constants – de biens, de savoirs, d’influences culturelles.
Nos « ports d’attache » sont ces zones de rencontre où se négocient les termes de notre interdépendance avec les mondes terrestres.
Nos structures de gouvernance elles-aussi reflètent cette logique du divers, où le multiple et l’hétérogène priment sur l’uniformité. Elles sont des espaces catalyseurs de négociations entre une pluralité de voix, de perspectives, d’ontologies parfois contradictoires. Elles fonctionnent selon des principes de décentralisation et de distribution du pouvoir. Il n’existe pas d’autorité centrale immuable chez nous Merrien·nes, mais des pôles décisionnels mouvants, reconfigurant sans cesse leurs liens et leurs hiérarchies internes. Le pouvoir circule, fluide comme les courants qui relient nos villages. Les décisions qui affectent notre mode de vie sont prises de manière collégiale lors d’assemblées éphémères, où chaque communauté envoie ses émissaires pour délibérer et trancher les questions d’importance.
De même, chaque village merrien fonctionne selon ses propres codes et rituels décisionnels, façonnés au fil du temps par les spécificités culturelles et socio-écosystémiques de l’îlot.
L’essentiel est que ces modes opératoires singuliers, aussi divers
soient-ils, restent poreux et connectés. C’est de la confrontation
entre ces multiples façons de délibérer et de décider que naissent
une démocratie vivante et les réponses les plus créatives aux défis que nous lance Merre.
Merre, milieu de la relation par excellence, terreau liquide
d’où émergent nos devenirs océaniques, fruits d’un dialogue intra et inter-espèces qui valorise les spécificités tout en facilitant les échanges et les hybridations.
Compartimenté en disciplines étanches, érigées en forte-
resses autosuffisantes, le savoir scientifique des modernes ne
nous permet pas d’appréhender la complexité foisonnante du
réel. Pour en saisir la richesse inouïe et les perpétuelles méta-
morphoses, il nous faut résolument décloisonner nos savoirs,
apprentissages et modes de production de connaissances.
Les frontières d’hier deviennent alors des membranes poreuses, des zones d’échanges et de d’hybridation. Les sciences
dures, molles ou liquides s’entremêlent aux arts, aux philosophies, aux sagesses ancestrales en un réseau de connaissance
aux mailles fluides.
Car la connaissance n’est jamais figée, mais toujours en deve-
nir, à l’image du flux incessant de la vie. Elle progresse au
rythme des expériences vécues, des intuitions nées de l’enquête.
Elle s’enrichit au contact des autres savoirs, humains et autres
qu’humains, dans un dialogue permanent avec nos milieux de
vie.
Nos méthodes d’apprentissage et de recherche reflètent ce
mouvement. L’observation patiente y côtoie l’expérimentation la
plus audacieuse. Mais surtout, l’acquisition de savoirs et savoir-
faire est largement ouverte à toustes les merrien·nes sans distinction d’âge ou de statut. Les savoirs se co-construisent de manière
coopérative et horizontale, dans une dynamique intergénérationnelle et participative.
Ancien·nes et jeunes se transmettent mutuellement leurs
connaissances, tout en les enrichissant au fil de leurs explorations communes. Un savoir qui ne reste pas lettre morte mais se
réactualise sans cesse dans la pratique, au contact direct du milieu marin et de ses écosystèmes.
Et ces savoirs, nous les puisons à toutes les sources – des voix
trop longtemps tenues à la marge autant que des canons établis.
Nous accueillons les connaissances situées des peuples autochtones, leurs visions du monde enchevêtrées aux existences de la
nature. Nous prêtons l’oreille aux langages cryptiques des autres
formes de vie, ces idiomes des cycles, des métamorphoses, des
renaissances perpétuelles.
Car n’avons-nous pas tout à gagner à nous laisser enseigner
par ces êtres pour qui la fluidité est un art de vivre ? À nous imprégner de leurs esthétiques de l’enchevêtrement, de leurs
danses d’adaptation perpétuelle ? À faire de la vulnérabilité, non
un stigmate, mais une porte ouverte sur des possibles insoupçonnés ?
C’est toute une écologie des savoirs qu’il nous faut réinventer,
à l’image de cette écologie marine que nous explorons. Une
connaissance généreuse et rayonnante, tissée de la pluralité de
nos regards, de nos expériences et de nos devenirs. Un savoir
aux racines multiples et aux ramifications infinies, à la mesure
de l’immensité de Merre.
Nos histoires nous ont longtemps été confisquées, réduites
aux seuls récits des puissants, des vainqueurs. Nos voix singu-
lières étouffées, nos paroles niées, nos mémoires effacées.
Comme si nos existences — trop petites, trop banales — ne méri-
taient pas d’être inscrites dans les annales de l’humanité.
Pourtant, n’est-ce pas justement parce que nous avons été
rendu·es vulnérables que nous devons inscrire le récit de nos vies
et combats au cœur de l’Histoire ? N’est-ce pas dans la
conscience aiguë de notre précarité que nous puisons la force de
résister à l’oppression ?
Car la vulnérabilité n’est pas une faiblesse à combler, un
manque à pallier. Elle est notre condition, le terreau de notre
créativité, de notre capacité à nous réinventer sans cesse. Assumer pleinement notre vulnérabilité, c’est refuser la domination
et l’assujettissement. C’est faire de notre fragilité même un levier
de lutte et de transformation.
Nous résistons donc, d’abord par la parole, cette arme pre-
mière des opprimé·es. Nous réinventons nos langues, ces idiomes
de la houle et du ressac que l’on croyait perdus. Nous en faisons
des théâtres de lutte, des espaces de réappropriation de nos histoires confisquées.
Nos mots deviennent autant de lances qui déchirent la trame
univoque des récits hégémoniques. Nos voix s’élèvent, mêlant leurs accents singuliers en une puissante polyphonie. Nos mémoires s’entrelacent, trament la grande fresque de nos odyssées
oubliées, de nos résistances tenaces.
Et notre poétique de la résistance ne se limite pas aux mots.
Elle passe aussi par les actes, les gestes de réparation et de soin
envers ce qui a été brisé, meurtri. Nous réinventons des rituels
de guérison, où se mêlent les savoirs anciens et les découvertes
les plus récentes.
Nos créations deviennent autant de remèdes contre l’amné-
sie, d’actes de résistance face à l’effacement. Chaque œuvre est
une reconquête, une reprise de souveraineté sur nos histoires.
Une affirmation que nos vulnérabilités ne sont pas des tares mais
les marqueurs de notre humanité essentielle.
À chaque récit que nous arrachons à l’oubli, chaque mémoire
que nous transmettons, chaque blessure que nous pansons, nous
rendons un peu plus de dignité à nos existences méprisées. Nous
réinscrivons nos odyssées singulières au cœur de la grande épopée humaine.
Nos histoires ne nous seront plus volées. Nos voix ne seront
plus étouffées. Car dans la conscience de notre vulnérabilité partagée, nous puisons une force de résistance inépuisable. Une
poétique qui transforme l’oppression en émancipation, la fragilité en puissance de vie.
Le temps dans les villages merriens n’est pas celui, arbitraire
et « inhumain » des horloges, mais le rythme éternel des marées,
des courants et des astres qui scande la vie merrienne et s’incarne dans nos « rithmes ».
Ils ne sont pas de simples actions répétées mécaniquement à
intervalles réguliers, mais des actes hautement performatifs, façonnant les relations entre individus et communautés. Au-delà
de la seule communication verbale, ces rituels sont des vecteurs
puissants de liens, de sens et de transformation.
Ils synchronisent nos temps humains aux rythmes océa-
niques et astraux, nous rappelant sans cesse notre nature de
corps d’eau, notre appartenance indissociable à Merre. Les
« rithmes » quotidiens comme le « Salut à l’Océan » ou le « Cercle
des Vagues » sont des réaffirmations corporelles de notre interdépendance avec les flots primordiaux et leurs oscillations.
Les « rithmes » annuels tels que les « Transhumances » ou le
« Pardon à Merre » renforcent quant à eux le sentiment d’appartenance à la communauté merrienne. Ils sont des moments de
communion intense où se célèbrent nos valeurs fondatrices :
l’adaptabilité, le respect de l’environnement, la responsabilité
partagée.
Mais les « rithmes » sont aussi des instruments de médiation
au sein de la communauté. Lors du « Cercle des Vagues » par exemple, l’expression des gratitudes et intentions individuelles
tisse un lien collectif renouvelé chaque jour et permet l’expres-
sion des frustrations. Les « Transhumances », elles, sont des célébrations de notre capacité à évoluer ensemble, en symbiose
avec les cycles saisonniers.
Ils sont aussi de puissants catalyseurs pour des transformations individuelles et collectives profondes. Le cadre ritualisé
offre un écrin propice aux prises de conscience, aux remises en
question, aux engagements renouvelés. Lors du « Pardon à
Merre » par exemple, l’introspection et la reconnaissance collec-
tives de notre impact réaffirment notre engagement. Nous re-
nouons les fils de notre alliance avec l’océan nourricier tout en
resserrant les mailles de notre interdépendance mutuelle·
Ainsi, bien plus que de simples cérémonies, les « rithmes »
merriens sont les battements de cœur de notre existence océa-
nique, une danse perpétuelle avec Merre qui donne forme et
sens à notre être-ensemble.
Le devenir, qui s’incarne dans le flux constant de l’océan, est
l’essence même du mode de vie merrien. Chaque vague, chaque
brise marine nous rappelle que l’existence est mouvement, interconnexion et transformation perpétuelle. Nous embrassons
cette fluidité, la nourrissons et la transmettons, propageant ainsi
un mode de vie en harmonie avec Merre.
Notre héritage merrien puise sa force dans des décennies de
symbiose avec Merre. Il se tisse à travers une myriade de récits,
de savoirs pluriels et d’échanges affranchis des distances spa-
tiales et temporelles.
Chaque village flottant est le fruit d’une histoire unique, fa-
çonnée par le temps et les éléments. Et chaque merrien·ne est à la
fois gardien·ne et créateurice de cette histoire collective. Lorsque
nous partageons avec d’autres communautés nos techniques de
pêche, notre compréhension des courants ou nos méthodes
d’aquaculture, nous transmettons bien plus que de simples savoirs : nous offrons des identités en devenir, des récits qui se perpétuent et se transforment. Cette transmission devient un acte
d’émancipation, assurant la pérennité de notre mode de vie.
Dans l’immensité bleue où chaque goutte d’eau communique
avec ses voisines, la fluidité des connaissances prend tout son
sens. Nos savoirs ne sont pas des entités figées, mais des courants en perpétuel mouvement. Nous nous enrichissons des techniques ancestrales des marins péruviens, des pratiques des
peuples insulaires du Pacifique, tout en développant nos propres
réponses aux besoins de nos communautés et milieux. Cette approche fluide favorise un partage constant et une ouverture à diverses perceptions du monde.
Nos «rithmes» merriens, ces rituels qui ponctuent notre quo-
tidien, incarnent cette logique de transmission et de partage.
Lors de nos célébrations communautaires, nous insufflons la
mémoire de ceux qui nous ont précédés et l’espoir de ceux qui
viendront. Ces «rithmes» sont des moments sacrés d’échange,
d’apprentissage et de créativité collective, où chaque génération
apporte sa touche unique, enrichissant ainsi notre patrimoine
culturel et social.
Nos devenirs océaniques s’inscrivent dans une écologie relationnelle profonde. Prendre soin de Merre implique de cultiver
des relations harmonieuses entre les individus, les communau-
tés et toutes les formes de vie. Nous reconnaissons l’intercon-
nexion de toutes choses et l’impact de chacune de nos actions
sur l’ensemble.
En conjuguant savoirs ancestraux et technologies ensauvagées, nous établissons les fondements d’une co-évolution avec
nos milieux et les êtres qui les peuplent. Chaque merrien·ne est
invité·e à participer activement à cette conversation sur la préser-
vation de nos biens communs : les eaux, la biodiversité, nos tra-
ditions culturelles. L’apprentissage cyclique devient notre mantra, encourageant la participation de toustes et la co-création de
solutions adaptées à nos écosystèmes marins.
Œuvre collective, ce texte-manifeste jouera un rôle décisif dans l’émergence de la culture merrienne. Il constitue un témoignage extrêmement précieux sur les croyances et systèmes de valeurs qui ont permis l’invention de ce mode de vie en harmonie avec Merre.
Après être resté longtemps confidentiel au sein des cercles merriens, il sera popularisé, par Yuna Salaun-Leroux, co-fondateurice du premier archipel merrien.
Au fil des ans, il sera enrichi, maintes fois commenté, parfois révisé mais sa popularité ne se démentira pas et ce au moins jusqu’à +5m.
Sous l’impulsion de Yuna Salaün-Leroux, les merrien·nes firent très rapidement le choix d’une vie nomade, en cohérence avec leur recherche constante d’états de flux. Une partie de l’année — généralement le printemps et l’été — se passait en Merre, à bonne distance des côtes pour y prendre soin des écosystèmes les plus vulnérables et renforcer les liens au vivant au sein des communautés merriennes. L’automne et l’hiver voyaient les villages merriens s’abriter dans des hâvres aménagés pour favoriser les échanges avec les « Terrestres ».
Cette collection de cuillères à brume témoigne de l’importance dans la culture merrienne de la gestion des ressources en eau potable, en particulier dans les tous premiers temps des villages merriens, dans les années 30. Les cuillères à brume étaient alors utilisées comme mesure des rations d’eau potable allouées à chaque merrien·ne. Chacun·e était libre, une fois les rations définies collégialement, de venir prélever son eau sur les filets à brume qui permettaient sa collecte : la cuillère était alors glissée le long d’un fil gorgé d’eau et se remplissait progressivement.
Les collections de cuillères omniprésentes dans les intérieurs merriens seraient une façon d’honorer la mémoire de leurs « grand·es ancètres ».
Le collectif « Les Merrien·nes » serait l’héritier des idées développées par l’architecte Jacques Rougerie et d’un mouvement apparu dans les années 20 sur la Côte d’Émeraude. Baptisé « Les Villages Flottants », il se donnait alors pour objectif de développer des solutions d’habitat low tech pour vivre à proximité des côtes, en harmonie avec les milieux aquatiques. S’inspirant de certains de ses principes constructifs, Yuna Salaun Leroux imaginera des villages-archipels pouvant se déplacer sur les flots, se reconfigurer, s’agréger au gré des saisons et conditions climatiques pour offrir un mode de vie en harmonie avec Merre et œuvrer à la régénération des écosystèmes marins.
Nous relevons ici une référence explicite à « Hypersea », théorie développée par Dianna et Mark McMenamin dans les années 1990. « Hypersea » proposa une vision novatrice des interactions entre les organismes marins et terrestres, en interprétant la vie terrestre comme le prolongement d’un « océan intérieur ».
« Hypersea » reposait sur l’idée que les organismes terrestres auraient, au cours de l’évolution, emporté avec eux un microcosme d’eau et de symbioses complexes, créant un « hyperocéan » connecté par des échanges métaboliques généralisés. Contrairement à l’idée classique d’une rupture entre milieu aquatique et terrestre, Hypersea postula la continuité biologique que les Merrien·nes reprirent à leur compte : la Terre émergée aurait ainsi été colonisée non comme terrain vierge, mais comme un vaste biotope où les relations mutualistes et parasitiques entre espèces ont permis une diversification extraordinaire.
Dans la culture merrienne, chaque enfant reçoit à sa naissance une « goutte d’eau », un bijou dont l’usage est similaire à celui des médailles de baptême : il matérialise l’entrée de l’enfant dans la communauté des vivant·es et symbolise le lien ontologique qui l’unit à Merre et plus largement à l’élément liquide.
Le récipient, de formes variées, est rempli d’échantillon·s prélevé·s à la naissance de l’enfant dans la ou les étendue·s d’eau qui irrigue·nt et nourri·ssent la communauté. L’enfant se voit ainsi symboliquement confier sa part de soin au milieu dont iel fait partie intégrante.Dans les années 40, l’océanographe et géophysicien Athelstan Spillhaus invente une projection cartographique centrée sur l’océan. Il donne ainsi à voir un visage inédit de notre planète où les continents forment un archipel autour d’un corps d’eau unique qui baigne l’ensemble de leurs côtes.
Près d’un siècle plus tard, le mouvement merrien adoptera la projection Spillhaus comme symbole d’une cosmovision océanique et rebaptisera notre planète bleue, Merre.
« Em » est le symbole de l’ÉcuM, monnaie complémentaire qu’utilisent les merrien·nes pour les échanges entre elleux et avec le continent.
L’ÉcuM se forme — génère de la valeur — à l’occasion de toute action des merrien·nes qui bénéfice à leur milieu de vie. A contrario l’ÉcuM est détruite — se déprécie — par toute action qui détériore la santé du milieu.
Les merrien·nes ont pour coutume de composer des colliers de coquillages matérialisant leur « richesse », c’est à dire leur capacité à prendre soin de Merre.